Je me sauve, ce soir, de partout. J’ai giclé loin, hors des regards qui prétendaient me capturer, j’ai glissé à cent lieues d’une voix qui me hait, me pleut dessus des arabesques de lave sale, j’ai même esquivé des pluies molles, passé mon corps à toute allure à travers des colliers de portes ouvertes, de battants à pousser comme des cris d’horreur pour qu’ils cèdent enfin, j’ai enfilé de long couloirs à des vitesses de chutes libres, j’ai agrippé des rampes et des poignées au hasard dans une pénombre qui me plombait l’espoir, j’ai trébuché contre des choses qui respiraient, dont je ne sais rien, que j’ai griffées et martelées, agressées de regards aveugles et qui n’ont jamais existé, j’ai senti mon échine frémir comme un concentré de glaçons en dévalait la pente osseuse, et j’ai perdu la sensation d’avoir un corps doté de membres et de reliefs, je ne vivais plus mes sursauts, mes gestes étaient un manque de la sensation de bouger, c’étaient des assauts sans commandes que tout mon corps lançait contre les murs, à travers, même, jusque dans les plus graves densités de béton imaginables, pour tenter de se ressentir, d’exister à nouveau ne serait-ce que par la douleur, c’était comme un étranglement de panique absurde et sans voix, sourde à elle-même, pourtant chair hurlante et hurlée de tous ses poumons d’enfant mort, plus rien nulle part n’avait plus ni forme ni texture ni individualité propre, j’étais noyée, simplement diffractée dans la pâte du monde, perdue, ni moi ni rien mais tout, je ne me sentais plus bouger ni ne m’entendais plus crier et je me suis sauvée, et je me sauve encore, dans l’écriture, maintenant que j’en suis capable, je cours avec mes jambes de lettres jusque derrière moi-même, là où plus rien ne m’arrivera, où certains silences auront la poigne nécessaire pour me tenir dans un étau qui maîtrisera mon souffle, me décauchemardera l’âme, me rendra mes armes d’adulte.