L’autre après-midi, dans mon jardin, j’assistais au tomber d’automne, à l’une de ces fins sans remèdes qui étranglent nos longs étés.
Je pensais aux insectes, aux coccinelles, à tous ceux qui se sentaient vieux, ces milliards de petites vies animales pour lesquelles un été, c’est TOUT ; et je me suis trouvée chanceuse d’être de ces autres pour qui la mélancolie automnale a une réalité, un sens.
Chaque année vers le mois d’octobre, la frise du temps s’enroule autour de la saison. Alors, je sens faner les restes de l’été, j’anticipe déjà sur les tons de l’hiver, et les feuilles qui tombent ne se résument jamais à elles-mêmes. Il y a dans l’automne ce qui ne se dit pas et qui laisse le langage à terre ; des moments qui nécessiteraient, pour qu’on en exprime la substance, un décloisonnement temporel, une chute des conjugaisons, quelque méli-mélo confinant à l’inintelligible. L’automne est une violence faite aux temps bien classés que l’on respecte dans la langue. Un absurde concentré d’âme, de chant, d’hier et de demain, de lumière, de déclin, de vie, de mort, de poésie, d’angoisse et de vent qui se lève.
Mais les insectes ne savent pas cela. Les insectes ont une vie à la dimension de l’été. Pleine. Gorgée de lumière bleue azur. L’hiver n’existe pas, chez eux, l’automne ne promène en lui que le désir des derniers fruits tombés, mûris, et des sensations de fraîcheur, et puis, un jour, la fin du monde. Si les insectes l’ont peuplé, ce monde, et l’ont croqué à leur façon, c’est peut-être qu’alors, vivre un été ou quatre-vingt dix ans ne revêt pas la moindre importance. La seule chose qui devrait compter ne se laisse pas chronométrer. Elle gît là, au fond d’une seconde, elle est éternité, déchirure du temps, d’un instant ; elle traverse un flash d’évidence, perce ce coeur porté par un courant sans nom, et ce “maintenant” sans durée, ce bout d’ici trempé d’ailleurs, c’est lui que j’appelle vivre.