Premier vendredi du mois, vases communicants : j’ai le bonheur d’accueillir à cette occasion un très beau texte de Franck Queyraud, tandis qu’il publie mes mots chez lui. Notre échange est basé sur le dialogue du texte et de l’image : ses mots répondent à mes photos, les miens à l’une des siennes. Les compositions d’images qui suivent ont été pensées par lui ; vous pouvez les agrandir en cliquant dessus.
Liste des autres participants aux vases de décembre : ici
Vers un ailleurs tout près de chez vous – par Franck Queyraud
Partir de la ville vers un ailleurs
J’étais dans la Ville, dans cet immeuble en L, au bord de la mer. Nous marchions sur la plage avec S. Les petits pas de ma fille dans les miens : par jeu. Des traces dans le sable… Des lignes dans le ciel… Celles que dessinaient dans l’azur bleu de longs tubes en métal qui transportaient des messieurs importants ou d’autres qui fuyaient vers un ailleurs idéal. Nous, nous regardions passer quelques oiseaux – migrateurs ? Déjà ? – qui utilisaient d’autres corridors pour leurs déplacements. On ne se plaisait plus dans la Ville. On s’éloignait de l’agitation consumériste de l’été ou de celle, tout aussi agressive, du poste de télé. On fuyait les cadavres qui exsudaient dans le sable sale et les autres qui étaient avachis dans des canapés obèses et profonds devant des écrans qui ressemblaient à des murs, ingurgitant des boissons gazeuses qu’ils exsuderaient le lendemain, de nouveau, sur la plage. Nous vivions au milieu de vrais clichés, qui n’en étaient pas : l’azur était réellement bleu, les touristes exsudaient de tous leurs pores, passaient des heures à noircir ou à patienter dans de longues files de voitures pour voir les messieurs importants sur leurs yachts dans la petite commune où il n’y avait rien à voir d’autres. C’était les vacances. Nous, on avait envie de nature, de calme, de fraicheur. De retourner à l’étang. Certains, méprisants, disaient que c’était une mode, ce retour à la Nature. Ou, pragmatiques, essayaient de vous vendre du naturel, du bio comme ils disaient, ironiquement, au milieu des champs azotés derrière la centrale nucléaire. Il y avait toujours des gens qui ne perdaient pas le Nord. Le Nord de la Bourse. Mais le compte n’y était définitivement pas. On n’avait pas envie d’être avec ces gens-là, de leur ressembler ou d’être entièrement sous leurs emprises. D’autres, naïfs rêveurs, pensaient que justement, nous avions besoin de sentir sous nos pieds, un sol fait de cailloux et de mauvaises herbes. Ils passaient pour des hurluberlus. Les trottoirs de la Ville étaient nettoyés tous les jours pour enlever les déjections canines, les déjections humaines ou les restes et déchets de la grande frénésie de l’ultralibéralisme. L’humain, petite chose non-ultramachin, se perdait dans des substituts nostalgiques pour lui rappeler que tout était mieux, avant. Il s’en contentait de ces artefacts ; les autres, eux, les gens zimportants, ils souriaient ; l’humain ne se révoltait que rarement.
Jardins composés
Des jardins composés comme horizons, on avait besoin. Pour se promener. Siester. S’allonger sous un arbre. Ne rien faire. Ne plus consommer. Ou alors, que des choses immatérielles : ouvrir un livre, par exemple. Un livre qui inventait un monde. Ou qui vous parlait de vous. Du passage des saisons. On pouvait aussi faire des choses non rentables ou qui ne servaient à rien : jeter des pierres dans le ruisseau ou recevoir la joie de votre enfant quand il trempe ses pieds dans l’eau de l’étang. Ouvrir la porte de bois du pré et retrouver le temps d’un après-midi, un Eden… De la neige en hiver, des fleurs de cerisiers au printemps, un fruit en été…
Explorer le temps et les saisons
Dans les foules de la Ville, l’humain, petite chose non-ultramachin, s’est retrouvé seul. Avec pourtant un ailleurs tout près de lui. Vivifiant…
Silence (Franck Queyraud)
Toutes les photographies sont de Justine Neubach