Le visage du poète – déc. 2011

J’ausculte parfois des photos, des visages d’hommes et femmes célèbres, en tâchant en vain de trouver par où leur œuvre était possible. Sous quels traits. Dans quelle amorce d’expression.

C’est comme de confronter deux langues étrangères l’une à l’autre -le charme du visage et la parole poétique- et de vouloir qu’elles collent ensemble.

Baudelaire, le visage-Baudelaire, ne va pas bien avec son œuvre. Je ressens ses poèmes comme des lambeaux de moi dans leur version agile. Il m’arrache les chairs, il en fait des oiseaux, et le sang qu’il me fouette propage la lumière.
Mais ces images et sensations ne sont possibles qu’après effacement de son visage.

Dans le visage de Baudelaire je trouve moins de force que dans ses mots dits. On sent ses traits venir de loin, avoir affronté quelque chose de peut-être terrible ou peut-être banal, mais sans brio, comme un bout de viande en péril ; Baudelaire un morceau de viande, et sous la peau, dans les contours entre les plis, il faut chercher ce qui est responsable du poème et de la critique. Où la plume est nichée. Où est Baudelaire dans Baudelaire.

Il y a une photo sur le volume de la Pléiade où j’ai cru découvrir cela. Chez d’autres personnalités je n’y vois rien. Mais là, voilà, d’entre la froissure des cernes émerge un regard qui les perce, et le poète Baudelaire (ou ce qu’il signifie pour moi) pourrait naître dans cette percée-là. Attention, pas dans le regard. Le regard battu lessivé, ça n’est pas Baudelaire. Peut-être se sent-il ainsi, physiquement, psychologiquement, et peut-être l’a-t-on rendu ainsi à force de médisance ; mais il y a une autre dimension qui fait le tour de son regard et prend les cernes en compte, avant de se résoudre en une sorte de jaillissement que je ne parviens pas à nommer. Ce n’est de toute façon que l’ombre d’une poésie possible. Ou la poésie d’un visage, l’indicible d’un air qu’il a.

Dans le visage de Baudelaire, il y a les traits qu’il se sait, et le reste, qui lui échappe. Pas vraiment une expression, aucun charme non plus, rien d’engageant, vraiment, mais un air sans lieu (ni dans les yeux ni dans les joues ni sur la bouche) qui fait brièvement mentir son aspect pitoyable avant de s’effacer (dès qu’on y scrute un peu).

Je me dis que voilà où le poème commence, tout en sachant très bien qu’il n’y a pas de traduction possible : que passer du poème au visage, et du visage à la personne de son auteur, c’est abandonner en chemin des facettes de sens, en prêtant au visage ce qu’un visage ne peut donner (l’expression langagière d’une brute beauté morbide), et à la personne un contenu poético-expressif qui ne peut être elle dans la mesure où toute sa poésie, comme certains silences du visage, ne lui a qu’échappé.

Le poète est inconciliable : avec le monde, certes, comme albatros ; mais avec lui-même surtout. Comme si son poème venait de l’inconstatable qu’il porte, et se cristallisait dans les bulles de vide sous sa chair.

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