A partir de delta

au collège toutes les droites importantes des exercices de maths s’appellent « delta » – sans la droite Δ il n’y aurait pas de problèmes, pas de questions – tu n’aimes plus les mathématiques depuis la classe de première – dès l’évaluation d’entrée, tu crus devoir pleurer ta nullité – « démontrez par l’absurde que racine de deux est irrationnel » – « quel est le volume maximum d’un cône que l’on peut mettre dans une sphère » – ces exercices tu les as tellement regardés qu’ils sont imprimés sur tes yeux – assaisonnés d’angoisse – après, les autres de ton âge en parlent entre eux et ça ne semble poser de problème à personne – le professeur, quand il les rend, toutes tes pages sont traversées d’un long trait rouge – c’est à chaque fois – le professeur il dit « vous êtes une dyslexique des maths » – il dit « où vous allez chercher ces solutions fantasques ? » – à la droite du zéro il a griffonné « trop artiste » d’une typographie excédée – le mot « artiste » est une insulte, tu le hais sous toutes les coutures – cette année-là tu as sept de moyenne, puis cinq et demi, puis sept – les autres années, ça va, les examens ça va mais trop tard, tu vomis les mathématiques – deux ans après, dans l’amphithéâtre, des espaces inimaginables déployés sur n dimensions – de jeunes matheux viennent dessiner l’allure des formes résultantes, comme si c’était normal – ça leur prend deux secondes – tu paniques à chaque fois que tu ne comprends pas – un glaçon saisit ta poitrine quand tu aperçois des formules – tous les soirs, tu racontes aux murs ce que tu as appris par cœur et qui n’a aucun sens – ensuite tu t’arraches les cheveux et tu te laisses glisser par terre – des révisions dans une bibliothèque sans aucun livre qui dise les choses du monde – tout froid – sensation d’asphyxie mentale – de ne pas avoir une minute pour la moindre pensée vivante – éloignement de tout ce qui compte – et puis une veille de colle, tu sors – lorsque tu rentres, à pied, il est cinq heures passées – tu traverses un grand parking vide sans éclairage – loin au fond, la rue dessine un long trait jaune vibrant au rythme de ton pas – tu vas passer sous la lumière des lampadaires courbés – tu passes et la lumière t’avale et la lumière t’effondre – il y a, un jour, cet examen de circuits électriques, auquel tu te présentes sans stylo ni règle ni calculatrice – et tu as une heure de retard – la salle est au dernier étage, deux murs adjacents l’un à l’autre sont faits d’immenses vitres par où tu vois la nationale qui va s’éteindre vers Jarville – au sol, de la moquette, ta dernière moquette de monde sourd – cet examen, c’est dans ce monde l’ultime épreuve écrite insensée mais notée – tu lances à tes papiers un regard dégoûté – tout à coup, un pont craque en toi – celui qui te permettait d’enjamber des contrées insipides comme si elles te concernaient – soudain tu ne sais plus faire semblant – dans le hall de l’école tu penses « c’est pas ma vie » – ensuite tu tournes les talons – tu t’en vas loin, tu ne reviens jamais.

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