Qu’elle ait senti ce germe de fureur en moi, ces éclairs que les yeux retiennent quand ils veulent dire je vais te mordre, qu’elle en ait eu vent signifie qu’il a existé. J’ai beau m’en défendre, le scandale a eu lieu. Il n’est pas passé par les cris. Il est monté dans le désir du cri, dans l’alerte sur mon visage de ce désir du cri, le scandale de la parole douce quand tout le corps parle de baffes. C’est une injure à l’autre plus encore que dans l’explosion verbale un mot un peu trop haut. Cette insulte-là est totale, imprononcée mais toujours au seuil de l’être. Elle englobe l’autre entier jusque dans ses zones animales ; elle met en cause plus loin que ses propos ; même sa façon de respirer, la longueur de ses ongles, l’amplitude de son geste, il faut tout déchirer. Sans autre justification que ce silence énorme, pesant, faussement amical. Le sourire appuyé qui n’est plus un sourire. Cette fureur qui soudain domine, c’est échapper à vingt années de bonne éducation, c’est se sentir pousser des cornes là où l’on n’imaginait pas que corne advienne un jour, c’est perdre en cours de route un bout de soi vulgaire, rebelle, qui se dresse quand on a passé sa vie assise aux pieds des chaises, et quel raffut fait ce bout-là, et plus personne pour contrôler, et qui va essuyer les plâtres après son soulèvement ? Je me défends de la colère qui s’est vue jusque sur ma peau – mais chacun rit, on se donne du coude et ce sont sourires entendus.
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Ca me parle, ce texte. Il est très fort, très beau aussi.