La parole de R., que vaut-elle ? R. parle comme elle brasse du vent. R. se tient debout dans un champ de colza et ce qu’elle dit la brise l’emporte comme un pétale mort. R. par exemple prétend qu’elle va faire la vaisselle quand il n’y a d’évier nulle part, pas d’eau, encore moins de gamelles, nulle part trace de repas. R. promet d’accrocher au mur le tableau d’il y a quinze ans, que son fils lui avait offert – à quelle occasion plus personne ne sait –, tous les Noëls c’est le même serment qui revient, la même excuse : R. n’avait pas de clou pour l’accrocher au mur mais demain justement elle compte aller s’en procurer. Seulement, le clou n’arrive jamais. La vie de R. c’est ne pas parvenir à penser à ce clou suffisamment fort pour le réaliser. A croire que R. n’existe qu’à demi. Qu’il n’y a chez R. qu’un demi-souffle, la moitié d’une envie et que cela suffit. R. pourrait se nourrir de l’idée d’un repas, se reposer dans la pensée d’un lit, elle n’étend réellement son linge que par un grand hasard. Il y a des gestes, en R., qui consentent à passer, ce geste d’accrocher le linge, le soin qu’elle y met, ces gestes que mécaniquement elle s’autorise, et d’autres, d’une catégorie tout aussi quotidienne, l’achat d’un clou, repasser une chemise, gestes congédiés au seuil de son corps ; ils n’entrent pas en elle. R. les expulse par les mots. R. dit « je n’avais pas le clou », elle dit « demain j’achète un clou » mais demain n’arrive jamais, ou R. oublie que c’est demain, ou la phrase d’acheter un clou s’y est rendue en personne avec son portefeuille de phrase et son caddie de phrase et R. l’attend, elle a confiance, la phrase apportera ce clou.