Il vous arrive d’écrire, les soirs où vous êtes une histoire qui se déborde. On se prend les pieds dans vos larmes et c’est déjà tout un fracas.
Quand vous tombez, vous le faites bien. Vous soignez votre chute. Je vous ai vu vous transformer en plume l’air de dire « attendez, je plane ».
Il y avait du désir dans votre chant de l’autre jour, et de la peine aussi, guère trop, ce peu de peine que l’on sait gérer parce qu’il tient dans les mains. On se serre le cœur dans sa laine et l’on s’éloigne d’un peu tout.
Je me demande s’il y a un équilibre possible, et si oui, à quelle heure est-il ? Comment croire qu’il existe un monde quand le sol tangue autant ?
Vous savez, j’habitais une brise. C’était à l’autre époque. L’époque de vent. Et vous marchiez sur moi dans les éclats d’assiettes et vous marchiez, je ne vous aimais pas, mais vous marchiez l’amour. Je me contentais de vous apprendre. J’ai passé des années à vous arpenter. On vous arrachait l’intestin pour mesurer jusqu’où était possible ce délire-là, le vôtre. Vous aviez la folie de croire en une littérature profonde qui aurait fait voler en éclat l’importance des structures, du mot, de la syntaxe. Je vous entends encore. Chaque souffle. Votre écriture se lève et descend de la page. Vos mots debout pour désigner le silence qui vous tient en vie et vous habite jusqu’à la moelle. C’est l’entre-mots de vous, qu’on lit.
Lorsque je vous feuillette, le cœur de mon cœur se délite.
Dans vos mots il y a la fusion il y a l’abandon il y a la terreur il y a la forme de la bouche ouverte dont aucun cri ne sort parce que ces cris sont trop volumineux ou parce que leur nécessité les place dans une position intenable, parce qu’ils n’existeront jamais, parce que l’on s’invente la possibilité de tels cris auxquels on croit plus qu’à soi-même. Il nous faut une dernière extrémité partout. Et le cri attendu, espéré, appelé, ne viendra jamais. Il est l’éternel déjoué des drames systématiques. Vous étiez trop vrai pour crier.
Vous portez l’innommable autour du cou, comme un serpent.
Je tends l’oreille à ce que vous taisez.
Un froissement de feuilles.
Combien déchirant ce peut-être.
L’effet de tout cela dans une strate insoupçonnée, enfouie si loin dans l’être que l’on se demande : quand ?
Je vous redis par cœur.
Vous palpitez sauvage en moi.
Qui êtes-vous pourtant ?
Dites-le.