De son premier mariage, il reste à Verte un fils : Ernest-Crapaud – mais on l’appelle Crapaud. Le jeune homme ressemble à son père. Les yeux sont jaunes, le cou charnu, le sourire large et le caractère doux. Crapaud, dans son jeune âge, n’a pas posé problème. Il n’a pas tapé dans le ventre, il est né d’un seul trait, sans crier, sans perte de temps, la tignasse bien peignée, une sacoche sous le bras. Très tôt il a parlé le français châtié de son père, une langue tout en circonvolutions – nul n’a souvenir de son premier mot. Ses premiers pas n’ont étonné personne – on savait déjà que Crapaud pourrait. Il n’a jamais bavé, jamais bousculé, jamais rien cassé, il ne remuait pas sans l’ordre “Crapaud, bouge ! ”, il mangeait ses choux de Bruxelle avec bel appétit, il ne rapportait pas de punitions à faire signer, il ne tirait pas sur la queue du chat, il n’entrait pas dans les chahuts des enfants de son âge, on ne l’a même jamais vu loucher.
Verte habillait Crapaud au gré de ses caprices. Tant qu’elle le chérissait, il portait le noeud papillon. De cette époque, il reste des albums entiers sur un rayon de la bibliothèque : Crapouillaud, 3 mois, smoking bleu, blotti dans son berceau – Crapinou, 4 ans, costard gris, lâcher de ballons à la kermesse – Crapoulet, 7 ans, costume feutré, les vacances en Andalousie. Peut-être s’est-il produit un événement crucial dans cette Andalousie de la photo, un événement suffisamment grave pour mener à la rupture, car les albums suivants sont plus froids et l’on y sent une différence dans l’habillement. Crap’, 7 ans et demi, jogging sale, à genoux dans un bac à ordures. Crapaud, 13 ans, jean effiloché, sweat troué, photo sans légende.