A qui ?

9h48 – Arrêtez le car juste ici, pour une photographie, pour les montagnes bleues diluées dans la brume et l’épaisse fumée neige, au loin, comme un nuage debout.

11h49 – Couleur du Rhône à n’y pas croire – notre train s’élance par-dessus – et tout est d’un bleu à hurler, frappé d’une lumière sonnante.

11h54 – Voix tant aimée au téléphone – le train ondule comme un serpent – les voyageurs debout dans le corridor accusent à chaque virage un retard de trajectoire qui les envoie alternativement cogner contre le mur et contre la rambarde.

12h – Erreur de débutante, oublier son livre – cela fait le train vide – le pays qui glisse à la vitre semble murmurer « un bon poète m’aurait prêté sa voix à chaque aller/retour de ton regard entre ses pages et moi, tâte un peu comme il manque – il y aurait eu pour lui cet arbre, depuis trente ans cet arbre qui me sort du ventre. »

12h27 – A qui sont ces propriétés isolées en contrebas du chemin de fer ? ces propriétés de la taille de celles que l’on étale, enfant, sur toute la superficie d’une chambre, un pays de fermes et de granges en polychlorure de vinyle, où vaches, chevaux et chèvres vont librement ? on ne voit d’homme nulle part – la carriole sans meneur se plie au bon vouloir de maître percheron. Le berger belge ronfle entre deux poules. Un immense chausson en forme de peluche fait office de falaise. Une voix, quelque part, suraiguë, l’appelle « falaise des affres rouges ». A qui ? A qui sont ces bâtisses, ces cabanes, ces manèges, ces carrières, ces champs gris, ces jardins loin des routes ?

[notes de train, 9 déc. 2013]

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