Cambriolage

C’est un désastre. Je ne reconnais plus ma bouche dans le miroir. M’étant levé plus tôt que de coutume, ce matin, j’envisageais ma longue journée avec délice. J’étais de bonne humeur. C’était avant que de me voir troué dans ma belle unité. A la place de ma bouche, cette forme rouge et molle ajoutée dans la nuit. On a essayé de me tromper ; la même stratégie est employée quotidiennement par les voleurs de tableaux qui en accrochent de faux à la place de ce qu’ils emportent. Toujours avec le même résultat qu’au premier coup d’œil, le gardien des lieux décèle une si légère anomalie qu’il la met au compte de la fatigue et, le temps qu’il y revienne, qu’il réalise, l’auteur du larcin a franchi sait-on combien de frontières… J’en suis là tout à coup. Cloué devant la glace, à plusieurs pays de ma bouche.

J’ai voulu parler. Ma voix exacte, les mots comme je les pense ont été… modulés par cette chose. C’est insensé. Une forme à deux battants de chair, presque des lèvres, se comportant comme telles, se tenant à leur place mais ne pouvant leur tenir lieu de remplaçants. Cette ressemblance criante avec ma bouche… Et pourtant, l’incompatibilité absolue avec ce qu’est ma bouche, qui m’appartient, tandis que cela ne m’est rien.

J’ai tenté de l’arracher. Je ne sais plus comment c’est venu. Je revois mon premier geste, timide, quand j’ai gratté autour dans l’idée de décicatriser la jointure. Quelques minutes plus tard, la fureur montée crescendo retombait dans une coulée de sang. Malicia est entrée, m’a trouvé là, elle a écarquillé les yeux, ma Malicia toujours si compréhensive mais désarmée à cet instant.

Malicia ne peut pas comprendre.
Elle ne me ressemble pas.
Elle ne ressemble qu’à elle-même.
Elle est pour jamais hors de portée de l’étrangeté. On ne lui volera pas sa bouche, c’est impossible de la prendre, regardez, elle est tout d’un bloc. Rien qui tangue. Aucune partie en danger de détachement au bout d’un fil, comme chez moi cet avant-bras qui balance après le coude. Malicia est l’unité même. Qui s’appartient ! Qui se reconnait ! Chaque matin, qui se retrouve.

/ à suivre /

4 réflexions sur “Cambriolage

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