à celui sans qui je me serais tue

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je te connais si fort qu’un silence jamais ne me séparera de toi

c’est de s’être d’abord trouvés par l’écriture

rencontrés quatre fois : en idées, en voix, en images, en chairs

nous nous savons dans l’ordre aussi bien qu’à l’envers

tu m’es le visage de toute écriture capable de m’atteindre
un personnage profond cueilli en moi quelque jour que j’étais peinée
un véritable arrachement à-même mon étoffe – puisque c’était ma voix que j’entendais, à lire tes mots de réconfort, puisque c’étaient mes propres bras autour de mes épaules, mes mains le long des cuisses, mon désir ce tiraillement d’un bord à l’autre de n’importe quel sentier – il m’a fallu jouer ton rôle, en rusant au besoin – de désespoir, j’avais confié au vent le soin de caresser mes joues – et c’était toi, ce vent – conçois-tu quelle jalousie ce fut que de prêter mon vent aux plages semées de fesses, aux langues des chiens, à l’aisselle d’un oiseau vulgaire – tu as été partout sans rien qui t’use ou te salisse – ni plages ni langues ni plumes – toujours au premier plan du cœur – si ma voix s’éteignait après la lecture de tes lettres, un silence prenait le relais, ne renvoyant qu’à toi, et durant des années, tout à l’avenant, tu n’eus d’autre voix ni d’autres couleurs que celles que j’inventais pour toi

tu n’étais là que d’être absent

le plus long de mes songes – la plus douloureuse des présences

à qui pensais-je alors, à l’évocation de celui dont j’ignorais jusqu’au visage ?

on pense à soi dans ces cas-là – à son enfant dans la fiction

dis-toi qu’avant de te connaître, je t’ai longtemps porté en moi

ô gestation de toi, toi qui pourtant me précédas sur terre

tes mots quand ils passaient mes yeux quand ils brûlaient ma gorge quand ils tremblaient mes mains, et je n’étais qu’une feuille volante, que signaient-ils d’autre que la découverte de ce qu’à tort on nomme, au quotidien, pour des constats finalement bien mineurs, l’intimité ?

je veux dire – et rien d’autre – que tu sus parler sans effort la seule langue que je reconnais

par la nature des viscères et la direction du regard, nous étions de la même patrie

de rencontre en rencontre, tu pris corps et réalité où ma pensée n’attendait pas

tu creusais des portes dans mon espace à des emplacements incroyables, et tu passais comme en volant les seuils et les seuils, tu prenais place, les murs tombaient, t’en souvient-il ? de ces ciels ouverts, de ces plaies hurlantes que calmait un regard d’eau claire ! Genève en tous sens parcourue par deux louveteaux éperdus ! le lac à jamais bleu, un couteau de lumière aiguisée à la pointe de chaque vaguelette, les manières de claudication de notre vieux Savoie, la charge de silence apparue avec le milan au survol des risées

nos silences n’ont rien d’effrayant – c’est se parler encore – il y a, de ta main à la mienne, quelle qu’en soit la distance, un courant qui circule – une électricité complice

tu disais que ton écriture était amoureuse de la mienne

je te réponds dix ans plus tard que mon silence depuis toujours bat au rythme du tien, des nôtres

aucune apocalypse possible à cela – aucun renoncement – mais un gène commun en nous éveillé, qui ne se taira plus

 

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