31.7

Fini de gribouiller ! Les lettres tiennent la ligne ; il n’y a plus d’événements violents que la rature ou le renvoi en marge. A 28 ans, on n’utilise plus son stylo comme une griffe à éventrer les pages. On a accepté le harnais de la bienséance, dont chaque pression douce nous voit obéir, par automatisme. On n’a cependant pas cessé de s’agacer pour des broutilles. La vie n’est pas plus juste qu’au sortir de l’enfance, mais c’est devenu comme l’eau froide versée dans de l’eau tiède, qui s’y réchauffe – de même, dans ce pays de la réalité régnante, le visage bleu de peur a fait place au visage bleu d’eau ; une tendresse de surface, dessous quoi vaquent les courants comme de lentes couleuvres.

La rage n’est plus celle des premières années, qui éclatait comme un orage. Elle a bâti son nid dans un corps d’habitudes jusqu’à ce qu’on l’oublie. On a cessé un jour d’arracher les pages du cahier, pour y consigner sans ciller, dans un profond respect des règles de la langue, sa prose aux dents qui grincent. On a crié avec application. On est revenu sur le cri, la concordance des temps du cri, le rythme de ce cri, ses orthographes défigurées ; on a lissé son cri, tressé son cri, vendu son cri. Et dans la maison, tout pareil : la vaisselle plus jamais en miettes ! les portes fermées presqu’avec douceur ! une façon de trembler d’horreur qui ressemble à un rire !

La rage a donc vieilli.

Cette vieille ennemie, la plus dangereuse, est celle qui vous offre le thé. Elle a soigneusement agencé les biscuits secs sur une assiette. C’est une rage éduquée – portant dentelles, sournoise, à la porte de qui l’on vient sonner le dimanche en famille et qui vous accueille à bras grands ouverts. Elle n’a pas même un chien pour gronder à sa place.

On n’imaginerait pas

On ne veut plus savoir
On est bercé dans le hamac tranquille des 28 ans
La sage rage sert le dîner
Et quand ses yeux croisent les vôtres
En la sentant soudain réveiller votre nuit
Vous comprenez qu’il est trop tard

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