La rage n’est plus celle des premières années, qui éclatait comme un orage. Elle a bâti son nid dans un corps d’habitudes jusqu’à ce qu’on l’oublie. On a cessé un jour d’arracher les pages du cahier, pour y consigner sans ciller, dans un profond respect des règles de la langue, sa prose aux dents qui grincent. On a crié avec application. On est revenu sur le cri, la concordance des temps du cri, le rythme de ce cri, ses orthographes défigurées ; on a lissé son cri, tressé son cri, vendu son cri. Et dans la maison, tout pareil : la vaisselle plus jamais en miettes ! les portes fermées presqu’avec douceur ! une façon de trembler d’horreur qui ressemble à un rire !
Cette vieille ennemie, la plus dangereuse, est celle qui vous offre le thé. Elle a soigneusement agencé les biscuits secs sur une assiette. C’est une rage éduquée – portant dentelles, sournoise, à la porte de qui l’on vient sonner le dimanche en famille et qui vous accueille à bras grands ouverts. Elle n’a pas même un chien pour gronder à sa place.
On n’imaginerait pas