Les visites de X. dans notre service m’emplissent de pulsions dont l’intensité excède la norme. Je pourrais m’élancer sans gêne contre lui, enfouir mon visage dans son cou. Cela me fait penser à quel point j’ai pris l’habitude du contact avec d’autres corps, moi auparavant si sauvage. C’est devenu courant de le laisser me prendre aux épaules ou masser ma nuque. S’il me serre contre lui, je résiste un peu par le rire ou le mouvement, dans une tension ambiguë entre l’accord et le rejet. Je ne veux pas dire non pour si peu, pour du jeu, n’est-ce pas ? S’il cessait, ce serait l’ennui.
Lui, s’amuse à signifier qu’il me veut ; moi, à ne pas le remarquer, à entretenir l’attirance sans jamais lui donner suite. J’ai des regards, il a des gestes, j’ai des tons de voix, des rires, il a des mots, j’en ai parfois aussi mais immédiatement contredits par d’autres. Il dit vouloir, je réponds oui et non. Il se laisse froisser sans rien dire puis revient à la charge après un instant de méfiance. Je laisse la porte entrebâillée pour lui comme si ce n’était pas exprès – il existe une tonne de prétextes pour justifier cette négligence. Je ne l’entends jamais venir quand bien même il s’annonce en chantonnant, non, je ne l’entends pas, et ma fausse surprise nous connecte. « Tiens, tu passais par là ? » Je regarde ailleurs en bâillant, sa venue me concerne à peine.
C’est une relation sans nom ; tacitement, une plaisanterie. Rien de commun avec l’amour, qui est choix mutuel, projet, ni avec la stabilité infaillible d’une amitié. C’est une relation jeu de cartes. On la sort un dimanche de pluie sur une table vide. Son intérêt réside dans l’absence d’autre chose.
Il s’est marié l’été dernier. La veille, il se collait à moi de façon dégoûtante ; une semaine après la cérémonie, il m’écrivait déjà combien je lui manquais. Je n’ai pas répondu. Quand c’est trop explicite, je fais silence en attendant qu’il redescende. Ensuite, s’il se maîtrise, d’accord pour quelques pas vers lui.
Il a deux lames bleues dans le fond des yeux, ce qui explique mon indulgence. Je l’autorise à me rêver, cela me flatte et me distrait ; mais qu’il ne s’avise pas de transposer dans la réalité tout ce qu’il se raconte. Ah quelle salope, au fond !