Le professeur de la stagiaire est arrivé avec trois heures d’avance. On le sent vouloir expédier la tâche – comprendre l’entretien – au plus vite. Elle ne doit pas beaucoup compter à ses yeux, la petite traumatisée chaque jour plus maigre et plus pataude. Ce qui ne parle pas ne compte pas. Or la jeune stagiaire, F., parle si peu, si bas…
Le type arrive avec un courant d’air entre les deux portes vitrées qui claquent à longueur de journée. « Prof de mathématiques », dit-il. Ce qui frappe avant tout, chez lui, avant le nuage de parfum qu’il promène et avant même son élégance, c’est une bouille d’ourson aux joues rondes qui lui donne l’air inoffensif. On a envie de lui offrir un pot de miel et de l’appeler Winnie. Grâce à ce visage-là, les jonglages qu’il a imposés à trois agents municipaux dans leurs emplois du temps à force de reporter ses rendez-vous, lui sont aussitôt pardonnés. On lui sourit, on lui offre un café, on lui prépare un nid où s’installer tant qu’il voudra. Aussi, quelle stupeur lorsqu’il ouvre la bouche pour parler politique ! Si le thème ne saurait choquer, ses propos sont d’une virulence à faire pâlir d’envie les plus immondes ténors du siècle. Entre les trois bureaux, cet ourson soudain possédé a quelque chose de scandaleux, et néanmoins personne ne réagit – personne n’a le courage ou la présence d’esprit de lui coller la paire de claques qu’il appelle à grands cris. A croire qu’un maléfice s’est abattu sur le service avec le vent d’hiver et les portes qui claquent, qui claquent…
Winnie est un salaud sans la gueule de l’emploi. Sa confiance en soi dégouline à nos pieds, avec le dégueulis de ses idées rejettantes, et les nombreux sourires qu’il croise encore malgré cela, hypocrites et vendus, appartiennent à des gens que rien ne sauvera plus.
D’un bout à l’autre de la pièce, les regards de Blanche et de Silencieuse se croisent et se comprennent. Haut-le-coeur partagé, dont l’échange, même muet, console.