A 8h06, quand sa porte a claqué, Madame Laure trottine dans le couloir. « Clac clac clac clac » racontent les escarpins, répétant ce qu’a dit la porte. Un tintement de clefs l’accompagne. Les voisins rarement croisés se réduisent parfois à cela : une succession de sons bien définie. Ainsi, les précédents locataires n’étaient-ils pour moi qu’un lied à deux voix pour bichons maltais, suivi d’un beuglement : « vos gueules ! »
A 8h20, le petit monsieur à veste élimée descend la rue de la République et s’aplatit contre les murs pour ne pas gêner les voitures. 8h50 : on le retrouve à l’identique deux kilomètres plus bas, dans cette même rue qui veine toute la bourgade. Quelquefois, il s’arrête et reste là plusieurs minutes, le regard porté loin, avec l’air d’attendre quelqu’un. Comme il n’arrive jamais personne, le petit monsieur finit par s’éloigner.
Aux alentours de 12h30, Elisabeth promène son cavalier king charles. On dirait qu’à chaque pas elle enjambe quelque chose. Elisabeth est employée de mairie. On m’a prévenue – mais pas dès le départ – que sa mémoire vacille un peu. Passé le seuil de son bureau, elle ne reconnait plus personne. Elle ne pense pas non plus à saluer les usagers auxquels elle est censée répondre, ce qui ne va pas sans occasionner des malentendus. Impossible de croiser son regard. Tout le monde dit qu’elle a les yeux dans le vide ; c’est faux : elle regarde ses pensées.
Elisabeth, quand elle passe devant la fenêtre dans son k-way beige avec son chien au bout d’une laisse, signale sans le savoir qu’il reste dix minutes avant d’aller faire bouillir de l’eau pour le thé.