Il y aura d’autres jours de plein soleil avec l’odeur des fleurs mais plus jamais ce jour précis d’avril dans la même lumière dans la même odeur avec la poussière de pollen qui fait de l’air une soupe à respirer, plus jamais ce jour-là d’avril sur le chemin du collège et pourtant toujours dans une telle lumière dans une telle odeur, quelque allusion glissée, un battement de cœur qui dérape, un léger trébuchement du temps, ce vieux jour oublié comme une mélodie d’ambiance
Il y a un autre printemps dans celui-ci mais tout au fond, deux autres printemps dans celui-ci mais tout au fond, un collier entier de printemps amassés au cours de la vie, ce printemps-là est plus épais que tous les autres auparavant, a l’épaisseur de tous les précédents et la sienne propre en plus, est cependant d’une transparence inouïe, puisqu’on aperçoit depuis la fenêtre de ce printemps les étages inférieurs d’une tour de printemps
Imagine alors un centième printemps, l’irrespirabilité, la charge, le bourdonnement de voix et de chansons d’un centième printemps
Imagine, si tu peux, ce centième printemps par-dessus les autres, les contenant tous, la ville entière qu’un centième printemps forme en une personne
Et dans le corps de ce printemps, emballe chaque vieille lumière, la moindre miette d’avril ou d’odeur sucrée que tu trouveras, emballe ce que tu fredonnais enfant, des paroles exactes, les deux teintes de soleil différentes qui tapent sur son bras à la fenêtre de la voiture lorsque la vitre est à moitié baissée, emballe aussi combien les arbres ont pu verdir, verdir, verdir, sous ce foisonnement de feuilles ta mère qui est pressée et ne veut pas les regarder et lorsque tu insistes qui te traite d’enfant, puis les printemps suivants quand tu ne le dis plus, que tu regardes à t’en faire mal avec l’air adulte et le cœur d’une biche ahurie, et mets encore dans ce centième printemps la nuit claire qu’il y eut, ce que les nuits là-bas pouvaient être à la fois silencieuses et légères, tu attendais la nuit comme un joyau qui viendrait de son propre chef se poser sur ton front, et souviens-toi aussi de tes impressions de printemps, le printemps d’octobre en Espagne dont tout le monde rirait que tu l’appelles ainsi, et pourtant quel printemps ce fut, le seul printemps de plages et de catalan que tu aies connu, et la plage était froide, et l’on passait des heures à parcourir sa monotonie de plage morte
Ce que tu auras enfermé dans ton centième printemps, circule et se mélange
Tu ne dois plus rien reconnaître
Tu dois sentir la panse indéchirable du printemps se fissurer
Avec la sensation qu’il est sur le point d’éclater
Un printemps qui porte ses frères est toujours, quelque part, sur le point d’éclater
Lorsqu’il cède il en met partout
C’est un drame, un regret, mais c’est aussi un soulagement
J’ai pris le pli de réagir par Facebook, c’est sûrement dommage. Ton écriture s’affine, j’ai l’impression, toujours aussi sensible, peut-être plus naturelle. C’est beau, c’est beau.
(C’est Julie, au fait, l’imparfaite etc.)