Ils ont beau dire que tu vivras toujours, six mois après ta mort tout le monde a oublié de qui je parle avec ce regard-là, cette voix. Quand tu n’existes plus, tu n’as jamais été des nôtres. Le deuil n’est pas l’oubli de ce qui fut. C’est comme s’éveiller d’un délire, c’est un divorce avec les personnages de mon imaginaire profond. J’aimais l’idée que tu existes mais ton prénom ne renvoie plus qu’au vide ; c’est un terme sans référent, ton corps une licorne. Le deuil, c’est rectifier sa réalité intérieure afin qu’elle rejoigne le cours des choses. On prend le soin de verrouiller les portes qu’il ne faudra plus pousser : celle qui conduit entre tes bras ouverts, celle qui donne sur un souvenir commun dont on ne peut rire que tous les deux, celle que je pousse en composant ton numéro de téléphone. T’aimer en folle furieuse serait refuser à jamais de condamner ces portes. Errer dans le couloir qui les relie en murmurant ton nom. Toute la vie, ainsi. Et tu existerais. Tant que je marcherais de l’une à l’autre de ces portes, oui, tu existerais, dans le brouillard qui seul peut se présenter derrière elles, fluide et volatile, en dépit du bon sens, ah ça, comme tu existerais ! Et l’on m’enfermerait, mais quelle importance ça aurait ? Il y aurait toujours un couvert pour toi, toujours une heure pour toi, toujours un livre traversé ensemble, je te rendrais toujours visite dans le même chalet dont, si tu n’ouvres pas, j’enfoncerais la porte ; on pourrait bien me secouer, que veux-tu que ça change ? j’ai, physiquement, du toi en moi, qui ne s’en ira plus sans également m’en aller.