il a, dans ces cas-là, les yeux qui rapetissent – deux fentes rouges tournées vers le bas – un regard de chien qu’on engueule – une façon extrême de courber l’échine
on pourrait croire que c’est la culpabilité qui le change à ce point – il n’en n’est rien – il est allergique à la mer ou seulement, veut-il croire, « aux lumières de mer » – dès qu’apparaît le port, quand la première ligne de mâts se dresse dans le ciel vide, il se plaint de réverbérations et des larmes roulent sur ses joues – malgré tout, il nous accompagne vers le quai, les paupières de plus en plus papillotantes à mesure que la mer approche – et il y arrive comme en se hissant, dans un effort qui paraît surhumain, sans un regard jamais pour la mer accablante qui l’a pourtant attiré là, dans un état d’éblouissement sans pareil
près de l’eau, il reste immobile – son regard fuyant semble un compromis entre le désir et l’esquive – c’est un regard qui dit : « il est insoutenable d’être là mais il m’est nécessaire d’y revenir sans cesse »
sur le port de Marseille, celui de Sète, sur tous les ports de notre vie cet homme avait un tel regard – inoubliables, ces yeux trop tendres qui pleuraient en saignant de ne pas supporter la mer – inoubliable ce chagrin, le refus têtu de sa maladie par une promenade qui chaque après-midi le ramenait au bord des quais – inoubliable ce bonhomme rougeaud maté par son propre corps, engagé dans une chamaillerie sans espoir contre les lois de la physiologie – et ces yeux minuscules, deux fentes écarlates que la mer écorche