Je ne me suis pas mise dans un état épouvantable lorsque ce matin-là, avec la sale nouvelle, un grand vent d’hiver s’est levé
j’ai pris l’ascenseur en chute libre
ça m’a vidé d’un trait ce que j’ai pu avoir jadis de cœur et d’estomac
par-dessus la nuit déjà noire une nuit plus noire est tombée
qui sait pourtant par quel miracle cette pulsion de mort en moi je te l’ai
empoignée
retournée
plaquée au sol et
piétinée
je ne me suis pas mise dans un état épouvantable
j’ai déjeuné froidement
passé l’écharpe froide au cou bleu sous la tête vidée
établi des commandes suivi des réunions fixé des rendez-vous
les poumons rigides comme deux cages de glace
dans les couloirs de la mairie j’ai croisé des
bonhommes de neige
qui levaient leurs chapeaux à mon passage
et avaient des regards
de boutonnières et me disaient
vos yeux sont comme pris dans la glace
et après ces bonhommes de neige d’autres venaient encore
qui glissaient sur la patinoire de la salle des fêtes en chantant qu’avec
cette neige fondue à la place du cœur
on ne risque rien
lalalère
qu’on ne risque
rien
oui mais quand je les
saluais (quand je les saluais)
ma main leur passait au travers (leur passait au travers)
quand je les saluais leurs têtes roulaient en répétant
« vos yeux sont comme
givrés »
givrés ! – et ma main
au travers
roulait (roulait)
toute la journée, ainsi, on m’a surnommée Canada – le plan grand froid c’est toi, le vent de Sibérie c’est toi – mais cette froideur, d’où vient-elle ? que cache-t-elle sous son habit mauve ?
je tournoyais sur place
l’œil en neige, les cils congelés
on entendait forcir le vent
Puis le vent se calme, les jours passent, le soleil efface les bonshommes de neige… c’est la vie qui simplement continue.