Les promenades n’en finissaient plus. Louna s’éternisait dans le parc à la tombée de la nuit, alors qu’il devenait à chaque heure plus bruissant. Les animaux nocturnes essuyaient leurs antennes ou gonflaient leurs gorges, certains grignotaient dans le dédale des herbes, mais tous faisaient silence à la moindre vibration du sol. Alors Louna, pour qu’ils oublient, s’agenouillait au bord du chemin. Elle écoutait la pluie picoter l’étendue du parc et la petite société des bêtes après la pluie, qui s’ébattait. Quand l’humeur s’y prêtait, il lui suffisait de se tourner pour distinguer au loin les sentinelles de réverbères le long de la route. D’autres soirs : la nuit absolue – une masse de pensées noires comme des rideaux tirés sous son front, et la mer qui monte à l’assaut. Louna se perd dans la vision du bain de mer et de la vigueur avec laquelle il faudrait frotter, jusqu’à l’arracher, sa peau et le parc autour de sa peau. Car ce parc qui sentait bon, qui remuait avec amitié, se met à exhaler l’odeur qu’elle portait serrée en elle-même comme un bagage de mémoire sale. Elle est cette mémoire assise dans le noir. Le souvenir de l’odeur lui remonte à travers le corps. Il passe du derme à l’épiderme comme l’encre d’un mauvais tatouage. L’odeur lui marche sur la peau et prend son visage jusqu’aux yeux. Elle voit l’odeur, elle peut entendre la voix de l’odeur qui est également une voix d’animal. Puis la pénombre de l’odeur remplace la nuit du parc, et lentement, surgies de cette pénombre les deux mains de l’odeur dans les draps de l’odeur. De quoi sont faites les mains qui vous plongent dans des bains d’odeurs ? les mains qui vous enfoncent la tête dans l’odeur que vous refusez ? Louna pense : de contradictions. Violence accompagnée d’une douceur qui prête à vomir. Les mains de bêtes, attachées à leur corps de bête, attaquent et caressent à la fois. L’odeur des animaux enveloppe la tête de Louna, aigre et sucrée, intime et écœurante, se glisse dans sa trachée, vient se loger dans ses poumons et tire sa toile entre les veinules et les fibres des muscles, épouse la trajectoire des nerfs de sorte que chaque mouvement futur, chaque syllabe, chaque pensée ne puisse s’accomplir sans, l’enveloppant, cette odeur de sexe altérée par la dépossession totale. Et l’odeur monte dans le plein jour, descend les escaliers, grimpe après vous dans la voiture, se cramponne à vos cheveux en dépit des shampoings, mène votre vie et vous frôle sitôt qu’on vous frôle ; le regard d’un homme qui s’est approché a eu cette odeur dans l’été ; les bêtes quand elles se tiennent par la peau du cou dans les bois doivent aussi la porter.
La promenade s’éternisait. Le parc grouillait d’animaux. Louna rêvait d’un nettoyage qui soit un décapage ou une amputation interne.