
Paris – Septembre 2019
Débarrassée de l’ossature que lui fournissait votre profession, que reste-t-il de votre vie aujourd’hui ? La nouveauté se palpe et circule mais n’atteint pas encore les couches profondes, identitaires.
On vous guide à travers des couloirs, on vous indique des noms, des portes et des étages mais vous revenez sans cesse sur vos pas, vous vous perdez, vous déchiffrez hystériquement les étiquettes des portes de bureaux sans trouver la personne souhaitée. Le temps de cligner des yeux, vous êtes en tram, en TGV, en RER, en métro, en bus, sur le pont d’une péniche et au vingt-cinquième étage de la tour d’un quartier sans vie. Le soleil coule sur des moquettes. On vous colle à un mur pour vous prendre en photo. On vous demande si c’est vous la nouvelle (et c’est vous la nouvelle). Mais la nouveauté n’atteint pas encore les couches profondes, identitaires.
Alors on s’installe sous un parasol pour goûter au premier café du mois de septembre. Il fait un temps de plein été, les guêpes montent à l’assaut. On retrouve la littérature des étiquettes de portes et l’agencement des couloirs identique d’un étage à l’autre. On diagnostique au fin fond du deuxième étage un puissant désir d’être le premier. L’étage vous tourne autour jusqu’à l’étourdissement.
Vous arrivez tôt le matin, vous montez avec le soleil et vous faiblissez avec lui. On ne comprend pas que vous buviez un jour du thé blanc et le lendemain du café. La littérature des étiquettes de portes vous ensevelit peu à peu. Vous finissez par faire produire votre propre étiquette, que vous apposez fièrement dans l’encart du bureau numéro 222. Cette fierté passagère vous porte à rire, une heure après, de votre vie nue comme au premier jour. Vous traversez sans guide l’éparpillement des gens, entre les toux et les mains grasses, entre les voix qui blaguent. Vous riez de près comme de loin. Il vous arrive de rire sans rire. Plus tard, au moment de gravir le marchepied d’un train qui vous emporte pour un mois, vous constatez une fois de plus que vous ne manquerez à personne. Cela fait s’envoler la valise vers le fond du train. Quand vous arrivez à destination, il vous semble être née du train et n’avoir de réel passé que dans la gare de l’Est, en haut de la volée de marches réservée au personnel – des milliers de pas et de voix dans ce passé résonnent, et cela seul atteint avec intensité les couches profondes, identitaires.
Tout cela est dérisoire mais comment tenir le coup sans faire au moins semblant d’y croire ?