A quoi tu penches ?
A droite, réponds la ville.
Premiers pas dans cette ville au lendemain des élections, et bien sûr ça n’a pas changé la texture du sol mais les passants ont des yeux moins jolis qu’avant.
Je vais jusqu’au saule, qui est devenu mon ami, à la longue. Les pensées courent à sa rencontre et se mêlent au feuillage, ce qui me rend bruissante à l’intérieur, où des coups de vent entrecoupent la phrase. Par phrase, j’entends : ce qui arrive à la pensée lorsqu’on ne fait rien ou qu’on se promène seul. Il n’y a pas forcément de mots mais un état de conscience toujours susceptible de les faire advenir. A ces moments, je suis en fait assise au bord d’une phrase articulée ; ou à l’amorce d’un geste qui pourrait devenir cette phrase. De toute façon, quelque chose en moi se produit dans les feuilles du saule. Ça fait bien le bruit que ça veut.
Paradoxalement, s’il y a un endroit policé sur cette terre, c’est le lieu du choix de mes mots. On flique à l’entrée comme à la sortie. On bâillonne les plus connotés, on arrête ceux qui marchent de travers, on casse la gueule aux mots les plus simples du quotidien quand ils ont eu l’outrecuidance de l’équivoque. Quelque chose, quelque part, a une dent contre l’expression. On capture les mots revendicateurs, on les endort, on leur vide la tête et quand on les rend à la vie sauvage ils sont déjà morts, ils se prennent pour des animaux qui oublient de revenir, et nous on est là, on appelle avec la voix vide, on parle tout blanc, on crache de la neige.
Heureusement qu’il y a la promenade. La promenade agit comme un alcool ou une heure d’écriture : elle déborde les forces de l’ordre (parce que je marche peut-être en état de somnambulisme) et certains mots parmi les plus traqués passent alors la frontière et sortent du buisson à ma rencontre. Parce qu’ils viennent de loin et tiennent à le montrer, ils surgissent de partout : du feuillage, cette fois-ci, mais d’autres jours ils rient depuis la table d’à côté comme s’ils en venaient et ils se prennent au jeu de ce qui n’est pas eux tandis que je les découvre plus miens que jamais. Or plus je les découvre, plus ils se recouvrent à la hâte et la promenade s’achevant, les forces armées reprennent la zone. Tout se passe comme si ces mots-là n’avaient jamais été ne serait-ce que pensés. Je me tiens devant tous les gens, tous les amis en me mordant la langue dans un silence de sang. Sans toutefois pouvoir oublier qu’il y a eu des promenades, des alcools, des heures d’écriture.
« A ces moments, je suis en fait assise au bord d’une phrase articulée ; ou à l’amorce d’un geste qui pourrait devenir cette phrase. De toute façon, quelque chose en moi se produit dans les feuilles du saule. Ça fait bien le bruit que ça veut. »
j’aime tant