Canicule – par Angèle Casanova

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la chaleur s’est abattue
sur la ville

brûlante
humide
elle empêche de respirer

les poumons
semblent rétrécir

au fur et à mesure
que la chaleur monte
une vague brume s’étend
s’accroche aux toits
miroite au soleil

les yeux gonflés
n’ont plus la force de se tourner vers le ciel

les gens mènent leur vie
au ralenti

abrutis de travail
ils cousent
découpent
blanchissent

les enfants
ruisselants de sueur
ouvrent les bornes à incendie
s’éclaboussent en riant
jusqu’à claquer des dents
rouges d’excitation
avant de regagner les appartements chauffés à blanc
et de se faire enguirlander
proprement
par leurs mères
excédées
la tête folle
de trop
de chaleur
de travail
de ras le bol

alors
les enfants soupent vite
et retournent jouer dehors
jusqu’à tomber
de sommeil

assommés de fatigue moite
ils montent les étages
en traînant les pieds
ils rentrent chez eux
tirent leur maigre grabat
sur le balcon
et se couchent là
à moitié nus
les uns sur les autres
collés
dans leur trop chaud respectif

un petit bouquet
fleur de l’âge
se forme
tendre
et doux

un jeune sein dépasse
un chaton veille au grain
une petite fille dort à poings fermés
lippe tendue
sur un rêve entêtant
un garçon se gratte le nez
des jambes inconnues dépassent et signalent
d’autres présences

loin de la touffeur du logis
la peau offerte à la brise de l’East River
les corps reposent en confiance
sous le balancement
infime
du linge étendu

le photographe
saisit
en plein rêve
ces enfants
qui s’abandonnent
à la vue de tous

et cet instant
sur ce balcon
du Lower East Side
reste suspendu
dans nos mémoires
par la grâce de Weegee le voyeur
dont le crime était le métier
mais qui savait aussi saisir
la grâce de l’enfance
la beauté de l’instant
en un cliché
définitif

 

Weegee - Tenement sleeping during heat spell, Lower East  Side, New York, May 23, 1941

Weegee – Tenement sleeping during heat spell, Lower East Side, New York, May 23, 1941

 

 

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Ce poème écrit et lu par Angèle Casanova, est inspiré par la photo de Weegee qui l’accompagne. Je le publie ici à l’occasion des Vases Communicants, dont Angèle Casanova est co-administratrice avec Brigitte Célérier. Elle accueille aujourd’hui sur son site mon texte « Nathalie Granger », écrit à partir du film éponyme de Marguerite Duras.

Retrouvez la liste des vases communicants de mars 2015 en suivant ce lien.

3 réflexions sur “Canicule – par Angèle Casanova

    • Je n’ai pas vu l’exposition, malheureusement. J’en aurais été enchantée, à coup sûr. A lire, son autobiographie. Et puis tous les livres qu’on peut se procurer en France. Un personnage passionnant, également.

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