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A l’agoraphobe qui passait par là.
Sachez, Monsieur, que votre demeure ne se résume pas à son intérieur. Les gens comme vous et moi se forgent un territoire entre les murs, et c’est tout naturel, mais sur le plan du paillasson, nous divergeons. Le paillasson, pour vous, c’est déjà l’étranger, une sorte de Chine. Je vous ai vu, tout se déforme à la sortie, vous vous décomposez comme à sa seconde lecture un poème mal construit. Dès la porte passée, sur le papier vous n’êtes plus chez vous. Le malheur vient de ce que votre cœur entend plus volontiers les décrets officiels de la propriété que la petite voix qui vous assure que tout va bien.
(L’agoraphobe répond que les objets, dehors, le regardent passer d’un air méprisant. Il dit le danger émané des hommes et des arbres. Il dit que les rues sont si larges que l’on ne peut que s’y noyer, que dans les venelles, même l’oxygène est de ciment, il dit que son appartement est un aquarium inversé, une bulle d’air dans les profondeurs irrespirables, il dit « c’est la seule solution ».)
Rien, sinon vous-même, ne vous regarde passer, le monde se moque à tel point de vous qu’il ne prend pas le temps d’être méchant. Le regard noir, c’est vous, autrui, c’est vous, l’objet, c’est vous. Le vous nié, la part dérangeante. Les amoncellements de pensées dont vous refusez d’assumer la paternité s’enfuient, meurtris, par vos fenêtres, ils tendent de longues banderoles et nuit et jour, ainsi, battent le pavé sous vos balcons. Votre haute estime de vous-même vous a mis tout Paris à dos, votre capitale intérieure ! Vous vivez dans un monde binaire de serviettes bien blanches, rien ne dépassant du tiroir, les monstres au grenier, leur haine à jamais jugulée, et vous croyez cela tenable ? Vous allez en manger, de la révolution ! Vos sens vous attendent à la porte ! Il y a des pulsions sauvages impossibles à museler qui n’aspirent qu’à vous chahuter. L’étouffement à travers la ville, cela n’est rien encore. Attendez un peu d’arriver devant un miroir d’eau, entendez lever la clameur depuis tant d’années étouffée ! Chaque homme voit arriver un jour le retour de bâton qu’il mérite. Vous êtes un fasciste de l’âme, de l’art, du vivre. Vous fermez les frontières, vous vous racontez des histoires, s’il se pose une question ayant l’air d’accuser un peu trop précisément votre manière d’être, vous bottez en touche, il y aura toujours un tour de passe-passe possible pour inventer à votre vie de chien un petit aspect défendable. A vous entendre, vous seriez selon toute logique contraint à l’existence reclue que vous menez. Que cela cesse ! Qu’éclate enfin la vérité ! Il n’y a de territoire que celui que l’on s’autorise, de liberté que dans le passage serein, dans les deux sens, de tous les seuils imaginables. Prenez ma main, cher fou qui êtes un peu de ma jeunesse – et c’est pourquoi vous m’enflammez. Je vous aime tant que je vous tuerai. Je vous attrape et je vous sors de là ! Allons venez ! Venez ! Venez ! Et respirons ensemble à la couture de votre territoire avec le mien. Nous aurons partout du plaisir ! Mais vous ne m’entendez plus. Vous restez dans un coin, vous avez fermé les volets sur mes appels. Que faire de vous ? Laisser les loups vous emporter. Des meutes entières se ruent contre vos portes. Tremblez, fasciste, pour tous les fascistes du monde, sur votre escalier de papier tremblez, cassez-vous la gueule et le coeur, nous nous chargeons de balayer les restes.