Je sais plus parler quand t’es dans la pièce, plus écrire non plus, je vivote. Impossible d’avaler ma salive et de bouger autre chose que les yeux et les lèvres. Mon corps est logé dans une boîte dont il ne doit en aucun cas sortir. Je te regarde sans tourner la tête, en l’inclinant légèrement sur le côté comme preuve de vie et d’intérêt pour toi. Parfois, tu m’arraches un sourire ou un battement de cœur. C’est tout. J’aimerais tendre la main vers toi, te l’offrir paume ouverte mais les os de mon épaule sont soudés l’un à l’autre. L’articulation ne bouge pas. Une loi intérieure m’enjoint de ne pas occuper l’espace, de prendre le moins de place possible. Une loi liée à ta présence, parce que si tu quittais la pièce je pourrais à nouveau rire sans avoir l’air con, remuer les bras sans donner l’impression de me découvrir un pouvoir mal maîtrisé, manger avec naturel, me lever de cette chaise, marcher sans me cogner aux meubles, prendre un livre, en lire un passage à voix haute et claquer la couverture en m’exclamant « putain ! », et tourner sur moi-même, et évoluer dans la pièce avec des sons, des gestes, des envies, une fluidité, sans y penser une seule seconde. Mais tu es là. Dans ton regard il y a un autre regard, despotique, que j’ai moi-même inventé, un regard dont tu n’as pas vent, qui se pose sur moi avec toutes les attentes imaginables et toutes les attentes inimaginables du monde, et qu’il ne faut pas décevoir. Tu l’ignores. C’est ton grand pouvoir. Tu me cloues à ma chaise. Tu cloues mes idées dans ma tête et elles se marchent dessus sans ordre. Tu cloues ma langue à mon palais. Tu cloues mon corps entier aux coordonnées spatiales qu’il occupe à l’instant t de ton regard. Tu me figes, me captures, tu me tortures puis tu me mets en croix, et dans le sang sans sang qui s’écoule à mes pieds, tu peins mon obsession.
Le bruit de la vie qui nous traverse.