La mer en hiver – Christine Leininger

Les vagues gercées de gris moussent pleinement lorsqu’elles se jettent sur les rochers rosis par les claques d’eau.
L’eau quand elle se défile culbute les cailloux arrondis qui cognent comme un dentier mal accroché. La mer lamée de verts et de gris frappent désespérément contre le ciel impassible qui fait bloc.
Larvées de nœuds d’eau, les flaques grappillent des espaces aux bords elimes.
Les pans rabattus aiment, hantent émus les paix noires. La nuit s’étale et retrousse le noir jusque sur les dentelles dépareillées des dessous des eaux. L’eau range ses faux plis en les éparpillant sur les plages ou tournent le sable et la vase. Les coquillages grelottent des glas que la mer fait résonner au cœur des roches. Nous ne sommes pas, nous allons à la lèvre du rivage que le froid saisit comme un portrait.


Je remercie chaleureusement Christine Leininger pour ce texte, écrit à l’occasion des vases communicants de février.
Elle accueille elle aussi quelques mots de ma patte sur son blog. (Thème commun et imposé pour nos deux textes : « la mer en hiver ».)
La liste des autres participants aux vases du mois se trouve ici.
Ne manquez pas non plus le compte-rendu de Brigitte Celerier, lorsqu’elle l’aura publié !

Vers un ailleurs tout près de chez vous – Franck Queyraud

Premier vendredi du mois, vases communicants : j’ai le bonheur d’accueillir à cette occasion un très beau texte de Franck Queyraud, tandis qu’il publie mes mots chez lui. Notre échange est basé sur le dialogue du texte et de l’image : ses mots répondent à mes photos, les miens à l’une des siennes. Les compositions d’images qui suivent ont été pensées par lui ; vous pouvez les agrandir en cliquant dessus.

Liste des autres participants aux vases de décembre : ici


Vers un ailleurs tout près de chez vous – par Franck Queyraud

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Partir de la ville vers un ailleurs

J’étais dans la Ville, dans cet immeuble en L, au bord de la mer. Nous marchions sur la plage avec S. Les petits pas de ma fille dans les miens : par jeu. Des traces dans le sable… Des lignes dans le ciel… Celles que dessinaient dans l’azur bleu de longs tubes en métal qui transportaient des messieurs importants ou d’autres qui fuyaient vers un ailleurs idéal. Nous, nous regardions passer quelques oiseaux – migrateurs ? Déjà ? – qui utilisaient d’autres corridors pour leurs déplacements. On ne se plaisait plus dans la Ville. On s’éloignait de l’agitation consumériste de l’été ou de celle, tout aussi agressive, du poste de télé. On fuyait les cadavres qui exsudaient dans le sable sale et les autres qui étaient avachis dans des canapés obèses et profonds devant des écrans qui ressemblaient à des murs, ingurgitant des boissons gazeuses qu’ils exsuderaient le lendemain, de nouveau, sur la plage. Nous vivions au milieu de vrais clichés, qui n’en étaient pas : l’azur était réellement bleu, les touristes exsudaient de tous leurs pores, passaient des heures à noircir ou à patienter dans de longues files de voitures pour voir les messieurs importants sur leurs yachts dans la petite commune où il n’y avait rien à voir d’autres. C’était les vacances. Nous, on avait envie de nature, de calme, de fraicheur. De retourner à l’étang. Certains, méprisants, disaient que c’était une mode, ce retour à la Nature. Ou, pragmatiques, essayaient de vous vendre du naturel, du bio comme ils disaient, ironiquement, au milieu des champs azotés derrière la centrale nucléaire. Il y avait toujours des gens qui ne perdaient pas le Nord. Le Nord de la Bourse. Mais le compte n’y était définitivement pas. On n’avait pas envie d’être avec ces gens-là, de leur ressembler ou d’être entièrement sous leurs emprises. D’autres, naïfs rêveurs, pensaient que justement, nous avions besoin de sentir sous nos pieds, un sol fait de cailloux et de mauvaises herbes. Ils passaient pour des hurluberlus. Les trottoirs de la Ville étaient nettoyés tous les jours pour enlever les déjections canines, les déjections humaines ou les restes et déchets de la grande frénésie de l’ultralibéralisme. L’humain, petite chose non-ultramachin, se perdait dans des substituts nostalgiques pour lui rappeler que tout était mieux, avant. Il s’en contentait de ces artefacts ; les autres, eux, les gens zimportants, ils souriaient ; l’humain ne se révoltait que rarement.

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Jardins composés

Des jardins composés comme horizons, on avait besoin. Pour se promener. Siester. S’allonger sous un arbre. Ne rien faire. Ne plus consommer. Ou alors, que des choses immatérielles : ouvrir un livre, par exemple. Un livre qui inventait un monde. Ou qui vous parlait de vous. Du passage des saisons. On pouvait aussi faire des choses non rentables ou qui ne servaient à rien : jeter des pierres dans le ruisseau ou recevoir la joie de votre enfant quand il trempe ses pieds dans l’eau de l’étang. Ouvrir la porte de bois du pré et retrouver le temps d’un après-midi, un Eden… De la neige en hiver, des fleurs de cerisiers au printemps, un fruit en été…

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Explorer le temps et les saisons

Dans les foules de la Ville, l’humain, petite chose non-ultramachin, s’est retrouvé seul. Avec pourtant un ailleurs tout près de lui. Vivifiant…

Silence (Franck Queyraud)

Toutes les photographies sont de Justine Neubach

Un arrière-goût d’été – Eric Dubois

Un arrière-goût d’été

Automne débutant

La géométrie du mica

La sonnerie d’un portable

Pas de mesure à l’oubli

La recherche de détails
quand l’histoire se troque

Sans rendre la monnaie

Octobre 2011


Eric Dubois est né en 1966 à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages de poésie dont entre autres « L’âme du peintre » ( publié en 2004) , « Allée de la voûte »(2008), « Les mains de la lune » »(2009) aux éditions Encres Vives, « Estuaires »(2006) aux éditions Hélices ( réédité aux éditions Encres Vives en 2009), « C’est encore l’hiver »(2009) et « Radiographie » (2011) sur www.publie.net, « Entre gouffre et lumière » (2010) chez L’Harmattan ,« Le canal », « Récurrences » (2004) , « Acrylic blues »(2002) aux éditions Le Manuscrit. Participation à de nombreuses revues. Textes inédits dans les anthologies Et si le rouge n ’existait pas ( Editions Le Temps des Cerises, 2010) et Nous, la multitude ( Editions Le Temps des Cerises, 2011), Pour Haĩti ( Editions Desnel, 2010) , Poètes pour Haĩti (L’Harmattan, 2011)… Responsable de la revue de poésie en ligne « Le Capital des Mots ». Blogueur : « Les tribulations d’Eric Dubois ».

http://www.ericdubois.fr
http://ericdubois.net
http://le-capital-des-mots.fr

Pour voir la liste des participants aux vases communicants de ce mois-ci : cliquez ici
Vous pouvez aussi lire mon texte chez Eric Dubois, ici.
Si vous ne savez pas en quoi consistent les vases communicants, vous pouvez lire ici la petite description qu’en ont faite leurs auteurs (et que j’ai « lâchement » recopiée pour ma présentation de rubrique).

Un banc, un balcon – par Danielle Masson

Je suis rentré de vacances, il y a un petit mois à peine. Mes vacances en France, au Resty se sont achevées trop tôt.

J’ai emporté avec moi cette photo du banc posé le long de la rivière qui traverse le village. C’est Papy Nestor qui l’a faite l’automne dernier [1]. Cet été, on voyait le sol couvert de petits cailloux blancs. Parfait pour les genoux, quand j’ai dérapé et suis passé par-dessus mon guidon. Mais je n’ai pas pleuré. Je suis un dur ! un dur avec un cœur d’artichaut, celui du Prince de Bretagne.

Sur ce banc, nous nous sommes souvent assis avec grand-père. Il me racontait des histoires pour me faire rire ou par me faire peur. C’étaient ses dernières que je préférais. Il les inventait rien que pour moi. Dommage, qu’il ne les écrive pas pour que je puisse les lire à mon retour. Oui, j’aurais aimé les rapporter à Anita comme la photo.

La photo, je la voulais pour mon Anita, vous vous rappelez mon amoureuse. Car dans nos messages secrets [2], je lui ai souvent parlé du banc à Anita.

Mais revenons à nos moutons [3] .

Ce n’est plus le banc que je vois tous les jours, c’est cette façade. La façade de cette nouvelle maison où je dois rentrer tous les soirs [4]. Moi, c’est juste la fenêtre tout en haut sur le toit à gauche. Vous voyez. Elle était entr’ouverte, le jour où la photo a été prise.

Mais revenons à mon départ du Resty dans les premiers jours de septembre. Je sais, je saute du coq à l’âne, il faut me suivre.

Donc, je dis au revoir à mes grands-parents et en route, Simone [5] !

Je devais aller faire ma rentrée au lycée français de Valence, comme d’habitude depuis maintenant notre retour des États-Unis. Je suis un grand voyageur, pardon mes parents sont des globe-trotters. La raison, la profession de mon père. Mais là, nous nous étions posés depuis trois ans. J’allais au lycée français, ça classe [6].

Je ne comprenais toujours pas pourquoi les vacances avaient été si longues cette année, je ne m’en plaignais pas, vous pouvez en être sûrs. Je m’inquiétais seulement d’essayer de comprendre pourquoi l’atmosphère était si lourde quand nous avons pris la route pour le retour.

Je n’ai que 7 ans mais, comme je vous l’ai déjà dit, je suis un enfant précoce, qu’ils disent. Alors au lieu de tourner autour du pot, ils auraient pu me dire. Mais, en fait, je crois qu’ils ne savaient pas non plus comment s’y prendre pour me le dire.

Les grands-parents ne savaient pas que ma vie allait être bouleversée et qu’il faudrait que je choisisse.

Lors du voyage du retour, tout était pesant. Ils ne se parlaient pas ou si peu. Le strict nécessaire.
Eh, les parents, si vous avez quelque chose à me dire, dites-le ! Accouchez !

Mais un petit bonhomme de sept ans ne doit pas dire cela. Surtout quand on s’entête à dire qu’il est bien élevé.
Alors je me suis tu aussi. Pour leur montrer comment ça fait. On a roulé. On grimpait dans la France. Ils n’ont pas remarqué mon absence, au début. Ils étaient concentrés sur la leur l’un à l’autre.

Et puis maman s’est retournée, elle m’a demandé si j’avais faim. Je l’ai juste regardée, comme ça. Avec les yeux « qui parlent », enfin c’est une image, hein. Bon. Alors elle m’a tendu la main par derrière son siège, et elle a détourné la tête. C’est là que j’ai vraiment compris qu’il se tramait un truc très grave. Je n’ai pas pris sa main. Ben quoi ?

Je ne me souviens plus bien de notre arrivée, quand on s’est garés dans une rue que je ne connaissais pas encore, que sans un mot papa-maman sont descendus de la voiture, et que j’ai découvert la nouvelle maison. Ça file dans ma mémoire sans plus de précision. C’était le soir. Le soir des soirs.

A l’étage, Papa a gardé son blouson et ses chaussures. Il est resté planté sur le seuil de la porte. Et je m’éloignais déjà pour explorer l’appartement quand il m’a rappelé. « Camille ! Viens voir ». J’ai stoppé net. Je l’ai rejoint et il m’a dit…
Non. Je n’ai plus les mots qu’il a utilisé. Je me souviens qu’il avait l’air triste. Il n’allait pas rester ce soir. Il n’allait plus jamais rentrer. On se verrait encore souvent, mais sans maman. Voilà. Il m’a embrassé le front. J’ai rien dit. Y’avait rien à dire. Ou j’ai dit « je veux que tu restes », mais peut-être juste dans ma tête.

Ensuite je ne sais plus. Il y a un blanc ; pas la couleur blanche, non (au pire, relisez la note trois). Le blanc c’est dans ma tête, avec juste quelques images en vrac et insensées autour.

Celle où j’avance dans le couloir vers une porte close derrière laquelle je les entends. Les parents. Depuis le palier, échos de leurs voix irritées. Un peu de colère. Et re-blanc.

Une autre image : lorsque j’étais assis contre la porte de leur chambre, il y a quelques mois. On m’avait écarté. Interdiction d’entrer. Je devinais quand même leurs grondements étouffés. Ils avaient les murmures qui élevaient la voix. Je me sentais plus très cabotin…

Une dernière image ? – c’est maman quand papa l’a tapée au mur, juste avant les vacances chez Papi Nestor et Mamie Natacha. J’ai revu des bagarres. Des vraies : celles qui font mal alors qu’on n’y prend même pas part. Ensuite maman qui pleure. Papa. Les cris. Portes qui claquent. Des fois des trucs cassés. Du bruit. Des périodes où j’avais tout le temps mal au ventre. C’est tout.

Toujours une bête histoire de portes qui grognent en sourdine puis volent en éclat.

Depuis le départ de papa, je n’aime plus les murmures. Le reste, ça va. J’habite avec maman, et papa m’emmène chez lui à Montreuil, pendant les vacances. Il dit que c’est aussi ma maison mais je ne sais pas trop… Là-bas il y a sa copine, Clarisse. Elle est très gentille, je l’aime bien, seulement, comme elle vit chez papa, je ne peux pas m’y sentir tout à fait chez moi.

J’ai beaucoup réfléchi à ça : où est-ce que j’habite, maintenant ?

Vous vous souvenez des deux photos ? Celle de l’automne et celle de la fenêtre. Retrouver ma maison, ce serait comme marier (d’un vrai mariage, cette fois) ces deux paysages : celui que je ne reconnais pas et celui où il manque quelqu’un.

En fait, j’ai l’impression d’avoir la vie pétée en deux.
Et pour une fois, c’est pas une expression.

Ne pas écrire la ville – par Anna Vittet

Ce mois-ci pour mon premier vase communicant, c’est Anna Vittet qui prête sa plume à mon site naissant. Et quelle plume ! Mille mercis à elle pour ce tourbillon de texte, ces phrases folles venues d’outre-Atlantique et qui font sauter le carcan de la syntaxe. Vous pouvez retrouver ici le texte que je lui ai écrit. Et à cette adresse, les liens vers les textes de tous les autres participants.


Ne pas écrire la ville

je voulais écrire la ville, comment on ordonne la ville par nos pas et qu.on en dresse les murs, et comment, en marge de ca, on peut jouer la ville, marcher non pas le long des murs mais sur les murs, les barrieres et les cloisons, toujours en déséquilibre, mais voilá, j.ai voulu construire un texte et y faire surgir le désordre, des parentheses á la syntaxe impertinente venant briser la syntaxe réguliere, ordonnée, mais construire, ordonner, non je joue, la ville le texte, spontanée, désordonnée et aujourd.hui dans une ville autre, un pays autre, un clavier autre, et ma ponctuation, et l.orthographe deviennent d.elles-memes impertinentes, ca déplace encore, ca bouscule, et jai une nouvelle ville á courir plutot que d.écrire, peut-etre, puis autour de moi aussi ca se bouscule, au lieu du silence de l.écriture est substitué aujourd.hui je suis, dans l.appartement dans lequel je serai mais ne suis pas encore, english voices autour de moi, american voices, South Africa, Australia, I don.t know, puis ces montagnes des Balkans mes os en croissance et qui viennent déchirer la peau, l.égratigner, et je frotte ma peau contre la roche dure, climbing, encore et encore jusquá la tete du corbeau lá haut, la tete du soleil, grimper, on n.écrit pas lorsque les deux mains s.agrippent aux roches pour vivre, ligne irréguliere des roches qui me sauve loin des villes, des définitions, des circonscriptions, des ordres de circulation, des ordres, désordre préférer la cohérence des roches á la cohérence urbaine, incohérente, les saillies aux lignes droites, l.égratigné au lisse et lorsque je marche dans la ville je ne me suspend qu.á ce qui tangue et chavire, je me penche au-dessus du fleuve et toute la lumiere s.engouffre au regard ils croient que je me penche tout prés de ma mort mais c.est la vie qui me traverse et réveille la ville par mon corps je Souffle par saillies et cavités j.enfonce le poing dans le mur des villes et doucement il se déforme prend forme volume IRREGULIER je nage par Torrents et par Seine les connexions vont par sauts et á gambades par bras morts et nouveaux méandres j.ai la roche plein la bouche, je gratte, disturb, gratte et disturb, j.ai jamais compris de quel coté de la route me tenir

)si ce n.est hors(

/A. Vittet


Ces vases communicants entre Anna Vittet et moi se sont clairement déroulés en dehors des règles du jeu. D’abord parce que notre rendez-vous du mois de juillet était manqué ; ensuite parce que ce mois-ci, ce n’est pas un texte qu’elle m’offre, mais deux ! Le second, que voici, était son projet initial. Elle vient de l’achever. Je le place donc ici à la suite du premier. Lisez-le, relisez-le, c’est un Poème, un vrai, que je suis heureuse de pouvoir publier sur mes pages. Merci à son auteure d’avoir pris le temps de me l’écrire.


Ecrire la ville, désécrire, défaire

tchac, tchac, pavé après pavé, tchac, tchac, pas après pas la ville ferme sous le pied, ferme, clac et clac, porte après porte

Pas Pavé         Pas Pavé Pas Pavé         Pas Pavé Par Pas         Pavé Par Pas         Pas pour pavé         Et tchac Et tchac         Pas Après Pavé Après Pas         Pas Puis Pavé         Pavé Puis Pavé Puis Pas         Pli         Pavé Puis Pavé Puis Pavé Puis         Plis         Pas         Pavés Posés Par tes Pas         Et tchac Et tchac         Pac Pac         Pavé         Un         Un Puis Un         Pavé         Un Puis Un         Par tes pas posés – et Tchac !

Dans la rue à droite tu bifurques Paf Un mur Lèves le regard, la tour. Les immeubles se dressent puis lorsque tu suis du regard horizontale devant toi la chaussée s’allonge, lisse, lissée, devançant tes pas et disparaissant à ton passage. Alors tu traces, traces le virage, et lorsque tu courbes la nuque la voûte du pont sur ton dos se clôt, étau. (eh l’ombre au-dessus jetée dans les falaises crique et craque la glace dans les rochers se fendillent). Néanmoins ; tu marches encore ; et lorsque ton regard se relève enfin la voûte se renverse s’inverse sous tes pieds. Tu t’arrêtes au bord de la chaussée. Impatient ton pied pâtine le bitume, arrondit les angles, fait doucement chuter le trottoir sur la route. Tchac Tchac Marches : tu t’arrêtes et devant toi coule soudain le fleuve auto, automatique, sillons réguliers alors que de l’autre côté flamboie rouge, feu (avale toute la lumière par le visage) de l’autre côté du fleuve. Feu. Tu t’arrêtes laissant couler le fleuve et lorsque auto, automatique, plac, tu poses le pied sur l’eau celle-ci se fige, solide ; s’interrompt : tu passes, traversée et lorsque de l’autre côté tu arrimes, cellules grises, conglomérées, rive sédimentée. Allez, trottoir ferme sous le pied, tu marches, courant, tu suis doucement, courant des piétons, droite, files rangées, piétons autos, automatiques. A droite. File droit. (seule passe par le milieu, tu as failli la remarquer mais non pour l’heure c’est bon le regard encore droit vers l’horloge en haut la tour soudain). Tu continues, tu suis les lignes, blanches, bleues, continues, pointillées. Tu passes la grille, la grille derrière-toi s.élève. Tu te parques dans la zone où les gens sont autorisés, à s’allonger. Tu fermes les yeux. Tu ouvres les yeux. Les nuages naissent ; organisés en deux files égales, vitesses égales, orientation inverse. On circule à droite. Tu fermes les yeux. Tu ouvres, lèves, marches. Tu longes et sous tes doigts se cristallise et aussitôt s’évapore le froid du métal rouillé, les fers du parc, les fers qui parquent, tracent les lignes, circonscrivent. Parquent, parquent. Tu continues ta marche et ton regard bat le rythme des fers, pylone après pylone, tac tac, tu marches. Tu croises sur ta gauche des passants qui marchent, sens inverse. Leur pas, régulier, se mesure au tien, régulier. Dénivellé régulier, grain régulier. Régulier tu marches arrives au fleuve, large, tu traverses et longes, la barrière guide le pied, le corps, le maintient dans la largeur autorisée du pont (mais comme l’architecture du pont appelle à la transgresser n’est-ce pas entre les phalanges des planches l’espace pour y glisser le doigt, le bras, le corps en avant et les embruns du fleuve sur les seins comme le vent souffle fort dans la poitrine et comme large ouverte sur le soleil qui éprend de vert tout l’horizon élargit l’estuaire dans le plein de la ville et élargit le ciel dans l’eau, oui, comme une flaque de vert dans le crâne et l’iris) va-t-elle sauter ?
Toutes les barrières des villes comme des peaux et elle comme un décharné déjà hors va-t-elle sauter, hors la ville, hors la vie, ville qui se construit par ses intérieurs, mur sur mur pour rejeter toujours hors le dehors, à l’abri elle sort (hors dehors faire ma ville de dehors contre leurs intérieurs et puis ces rampes comme elles m’invitent au déséquilibre faire chanceler le corps sur toutes les limites faites n’est-ce-pas n’est-ce-pas pour les transgresser je fais les limites des villes rien que pour y chanceler ni dans ni hors, or, je ne comprends pas prends pas que dans eh quoi la barrière dans mon dos et mon corps ouvert au soleil couchant dans le fleuve et pourquoi vous arrêtez-vous) elle va sauter (comme ma tête penchée pour que puisse pénétrer l’estuaire par le regard les nuages si proches que mon bras se pose et l’effilé or et rose fleuve horizontal, comme cet or qui traverse, vertical, le miroir d’eau de pont en pont) Sillon régulier dans le fleuve déjà noir, premier passage, deuxième passage, ils viennent policer ma vie ma mort Interdit de se tenir aux limites Rentrez Rentrez Rentrez chez vous Madame Quand mon corps tremble de se tenir dans le vent seul et les feuilles qui n’auront que faire de vos barrières lorsqu’elles iront mourir avec bonheur, volant, volant, après même la chute sur les terres volant dans les entrailles comme elles je tourne ma ville comme labyrinthe d’entrailles sans ligne droite sans ligne le sang qui déborde large le vent Je me tiens au-delà au-delà de quoi rien juste une barrière franchie et la marine de la Ville inquiète et la ville inquiète parce qu’une barrière franchie et que les barrières, paraît, faut vivre derrière pour vivre