Le bandage blanc autour du pied,
tout le corps traversé de fièvres et de nausées.
Elle gémit quelquefois et d’autres fois, dort et se tait.
Elle a des peuples dans le pied, minuscules, féroces, et des pays aux frontières noires qui se fondent en série pour mieux s’entrechoquer. Elle a, sous la peau dans la chair jusqu’à l’os, l’histoire de la Pologne qu’on déchire ou d’un Empire romain en chute. Un état de guerre dans un lit. Et pas un seul mur ou plafond compatissant pour lui tendre la main, pas un. C’est une petite planète abandonnée à ses démons, elle tournoie dans la nuit fraîche et les bouches qu’elle y ouvre y lancent des bras incandescents. Elle est parsemée de volcans, autant de portes par où laisser jaillir la fièvre ; elle veut se brûler les peuplades. Elle convoque pour cela des troupeaux de comètes, elle tire sur la couverture abîmée, nage dans son propre lit, elle lance « avale moi » au vortex qui se profile à l’horizon, « mange-moi le temps », écrase-moi étire-moi, broie-moi, annule-moi. Et elle se rue vers la surface et elle retombe et elle dit « non », puis tout à coup -c’est très soudain ce mouvement-là – tombe doucement, éteinte et molle. Un drôle de mouvement à vrai dire, car dépourvu de geste. En fait, un mouvement d’abandon des stratégies crispées. Se laisser filer dans l’espace sans plus de résistance. Et le frottement des étoiles contre les nuages d’altitude y laisse de profondes griffures. Alors par lambeaux, tous ces nuages blessés tombent à l’océan, entraînant avec eux des parcelles d’atmosphère, et l’océan sous l’afflux, gonfle, ses flancs palpitent, sa gorge peine à déglutir. C’est se noyer en soi. Non, c’est l’histoire d’un bandage blanc. C’est se réveiller dans la chambre les cheveux pleins du sel des larmes et questionner par la fenêtre un peuplier ami : «quand est-ce que je pourrai marcher ?». L’impatience d’une petite planète.